Le territoire, un vaste enjeu pour la gouvernance : Entretien. Avec Nadia Bernoussi, Professeur de droit constitutionnel à l’ENA, à l’ISA et à l’Ecole de perfectionnement des cadres du ministère de l’Intérieur à Kenitra. Vice-présidente de l’Académie internationale de droit constitutionnel, membre du Comité exécutif de l’Association internationale de droit constitutionnel.
Quelle Région voulons-nous ? Pour quelles fins ? Va-t-on alourdir davantage les structures territoriales déjà en place avec un échelon de décentralisation administrative supplémentaire, un autre étage de gestion ou allons-nous réfléchir en termes de rupture, de réforme structurelle de fonds préconisé par le Souverain, de différence de nature et non plus de degré, allez on va le dire en termes de limitation de souveraineté ? En d’autres termes, sommes-nous prêts à nous engager dans une logique de régionalisation politique ? Telles sont quelques-unes des questions importantes posées par Nadia Bernoussi dans son intervention. Le colloque de l’Amicale des ingénieurs des ponts et chaussées a été l’occasion de débats passionnants de praticiens et de spécialistes de droit constitutionnel. Pour partager l’information sur une question d’avenir majeure pour le Maroc, nous avons fait appel à Nadia Bernoussi. Entretien
LE MATIN ÉCO : Dans votre intervention qui a servi de note préparatoire au colloque des ingénieurs des Ponts et chaussées vous vous êtes posé, dès le départ, une question de fond, la régionalisation induit-elle une forme nouvelle d’Etat ou une forme transitoire entre Etat unitaire décentralisé et Etat fédéral, stade, étape intermédiaire que l’on pourrait qualifier Etat autonomique ou Etat des autonomies ?
NADIA BERNOUSSI : Ma réponse était claire, il fallait régler avant tout débat, la forme juridique de cette étape en rappelant que l’Etat régional reste un Etat unitaire, indivisible, mais qu’il se distingue de l’Etat décentralisé par la dualité de sources normatives débouchant sur un véritable pouvoir législatif régional. Il faut aussi indiscutablement mentionner le rôle important joué par les cours constitutionnelles dans le règlement des conflits inévitables entre le centre et la périphérie. Ensuite, il est loisible de souligner que l’Etat régional reconnaît une autonomie politique au profit des régions qu’il dote d’institutions quasi politiques. Cependant, il s’agit d’une autonomie somme toute relative, dans la mesure où elle est encadrée par les juges et qu’elle est justiciable d’une seule constitution car le pouvoir central comme on dirait garde la main ou pour reprendre une célèbre formule de Kundera, on pourrait parler à cet égard de l’insoutenable autonomie du politique.
Le territoire constitue, tout le monde en convient, un vaste enjeu pour la gouvernance. Elément constitutif clé de l’Etat, l’espace territorial jugule les passions et concourt à donner un sens à l’idée de nation, et à celle de patrie. Aujourd’hui un simple regard sur la scène internationale met en exergue deux situations fréquentes et apparemment paradoxales ;d ‘une part des regroupements, fusions ou intégrations d’Etats( tels que l’Union européenne) d’autre part des mouvements irrédentistes, autonomistes pouvant aller jusqu’à la sécession.(Tchétchénie, Basque, Kurdistan, Kosovo..).
Qu’en est-il pour le Maroc ?
Le Maroc n’est pas resté en marge de cette dialectique en regardant sans succès du côté de l’UMA et en expérimentant avec détermination mais à son propre rythme la régionalisation. Consolidée par les réformes constitutionnelles et législatives intervenues en 92 et 96, la question régionale se repose au Maroc aujourd’hui avec force, portée par trois mouvements :un mouvement international qui fait la connexion entre la proposition marocaine du plan d’autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraineté du Royaume et son prolongement interne lié à une redéfinition constitutionnelle des statuts et pouvoirs de la région, un mouvement interne récurrent tendant à faire le lien entre régionalisation, démocratie et subsidiarité et un mouvement local qui fait la jonction entre le centre et la périphérie dans le cadre de la territorialisation des politiques publiques exigence qui s’exprime en contre-pieds de l’ancien modèle jacobin fortement centralisé.. Par «territorialisation des politiques publiques», il faut entendre non seulement des efforts de péréquation spatiale ou un renforcement des compétences des entités territoriales, mais surtout des «diagnostics inclusifs» qui devraient faire la part des atouts, déficits, besoins et attentes des toutes les parties prenantes, un des mérites de la gouvernance étant d’avoir éclaté la notion d’acteur de développement qui englobe désormais les communautés de base, l’associatif, les médiateurs de développement (institutions locales comme l’Agence du Sud, etc.)
Ces évolutions impliquent elles un désengagement de l’état ou un changement dans ses prérogatives ? Moins d’état, mieux d’état ?
Si la logique régionale implique un Etat central humble, les choix développe mentalistes ont leur exigence dont l’engagement dans une mise à niveau juridique économique et sociale qui implique un Etat dynamique, interventionniste, stratège, régulateur et développeur, à l’opposé de l’Etat frêle, discret ou svelte défendu par l’école classique de l’Etat de droit. Par ailleurs et la question n’est pas secondaire, la régionalisation a un seuil au-delà duquel l’unité territoriale risque d’être remise en cause. La gestion de ce risque est à prendre en considération.
Il est topique de constater qu’au Maroc, ce n’est qu’à l’aune du mémorandum de 96 que la Koutla évoquera la région en tant qu’outil de consolidation de la démocratie locale dans son paragraphe 5, dernier tiret et que ce n’est pas rien non plus de souligner que la loi sur la région a été votée à l’unanimité. En somme, si la filiation idéologique reste difficile à cerner, le concept séduit aujourd’hui tous les courants et traverse l’ensemble des familles politiques qui y ont perçu toute la charge légitimatrice et démocratique. Bien plus, tout le monde s’accorde sur le fait que l’efficacité et l’équilibre régional ne peuvent être atteints que si l’on accorde à la région les qualités de sujet de droit et d’acteur économique.
La décentralisation, on l’a dit au cours du colloque procède d’un mouvement de fond évoluant sur le long terme et non d’une réforme ponctuelle. Cette logique permet d’avancer et de tirer les leçons et les limites de telles ou telles expériences. Dans votre intervention, vous avez rendu compte des limites de la régionalisation de 96. Qu’en est-il ?
Il était utile de rendre compte des limites de la régionalisation de 96 en termes de statut juridique, de mode de désignation, d’étendue de la tutelle, du rôle du gouverneur, de précarité administrative et financière. Cet état des lieux pourrait se révéler un outil précieux au moment de la conception et de l’élaboration du nouveau modèle régional. Il est vrai que la région mise en place en 96 a souffert d’un déficit de légitimité, d’efficacité et de lisibilité.
A de telles carences, il faudrait remédier aujourd’hui. Déficit de légitimité tout d’abord, le mode de désignation est contesté. Le suffrage bien qu’universel reste indirect. Le problème n’est pas tant la désignation indirecte que le poids de la tutelle qui aggrave la dépendance.
Même si on nous ressasse que la France n’a permis l’élection qu’en 1985, il reste que le suffrage indirect a ses limites : il éloigne l’électeur de l’élu, altère et pondère le vote dans un sens conservateur, ne contribue pas à l’émergence d’un pouvoir régional, encore moins à l’émergence d’une conscience régionale, les sentiments d’appartenance, de vision régionale, de légitimité de l’autorité régionale sont tronqués avec un tel type de désignation.
Bien plus, à l’heure de la transparence, il ne constitue pas le meilleur rempart contre les manipulations électorales. La tutelle, l’approbation préalable du MI et le pouvoir de substitution même tempérés par la possibilité de recourir au juge administratif, aggrave le mode de désignation et relègue la région au magasin des accessoires territoriaux en la mettant dans un état de semi-dépendance. Il n’y a pas d’entité régionale, même les noms ne sont pas toujours évocateurs. Et puis ce qui compte aussi c’est le respect des identités et la prise en compte des spécificités des régions en termes de ressources, de coutumes, de rythme, etc. Taounate n’est-elle pas plus proche de fez et de Taza que de El Houceima ? Ouarzazate plus proche de Marrakech que du sud ? Il fallait un port dans chaque région dans les années 80, est-ce le même scénario aujourd’hui. Peut-être faudrait-il une agence de développement dans chaque région? Comment fonctionnera-t-elle avec les institutions élues ?
Déficit de légitimité, dites-vous, mais aussi déficit d’efficacité et de lisibilité au point où le concept de région est vidé de sa substance ?
La question de la désignation qui ne contribue ni à donner du poids ni à conférer l’autorité nécessaire à une élite locale est aggravée par le manque de ressources, les très faibles revenus, quelles que soient les compétences, sans revenu ni moyens, la région ressemble, dès lors, à une coquille vide. Le ministre N. Baraka, rappelait que Rabat est aveugle sur le PIB régional pourtant nécessaire pour pouvoir évaluer une politique publique, il y a donc un effort à faire au niveau de l’information pour éviter les déperditions et accroître l’efficience. Information et coordination. Il convient de rappeler que le préalable à toute action finalisée tient d’abord à la maîtrise de l’information et à la gestion rationnelle de sa circulation entre les acteurs du champ régional. La confection d’instruments et d’outils de collecte de l’information de son traitement et de sa vulgarisation au niveau de la région est non seulement une urgence technique mais aussi démocratique.
Déficit de lisibilité, y a-t-il une volonté politique de partager le pouvoir et de céder des parts plus ou moins importantes de la souveraineté? Prend-on suffisamment en compte les données historiques marocaines qui soulignent le caractère centralisé des structures mais qui ne nie pas non plus l’existence de libertés locales ? Est-ce qu’on garde en mémoire comme réflexe ou comme éternel alibi, le refoulé de la siba ? La nation n’est-elle pas suffisamment construite et n’a-t-elle pas préexisté par rapport à l’Etat moderne contrairement à de nombreux Etats ? La frilosité de certains acteurs n’est-elle pas le fruit d’une culture récurrente tournée vers la centralité et érigeant la régionalisation en épouvantail destiné à réveiller de vieux démons ne correspondant plus à la réalité concrète du Maroc actuel ? Le spectre de tendances centrifuges n’est-il pas appelé à être l’alibi idéal pour la pérennisation d’un pouvoir éternellement centralisé ?
Par ailleurs, peut-on parler de transfert de compétences si les fonds ne suivent pas ? L’Etat a suffisamment de choses à faire au niveau central, s’il continue à s’occuper de la périphérie, ce n’est bon ni pour la régionalisation ni pour la démocratie. La démocratie locale au Maroc n’est-elle pas essentiellement administrative, et la région toujours liée aux problèmes d’aménagement du territoire, d’équilibre régional et au désengorgement des grandes villes ? La loi de 96 était focalisée sur le développement économique et social, la région en prospective se veut une entité politique dont le développement économique et social est une des compétences ; la différence est là et elle est de taille.
En tenant compte des propositions inscrites dans le projet de plan d’autonomie et à la lumière des standards internationaux relatifs à la régionalisation, vous avez tenté une esquisse de ce que pourrait être le nouvel espace territorial avec in fine une question clef : que garderait Rabat hormis les fonctions régaliennes ?
Le plan prévoit de garder pour le centre, la défense, les relations extérieures, les attributions constitutionnelles et religieuses du Souverain. Au-delà, la région serait maîtresse de son destin forte de sa batterie institutionnelle, gouvernement, parlement, justice. Fonctionnera-t-on en termes de compétences d’attribution et de droit commun ? Le principe de subsidiarité serait-il appliqué partant du fait que ce qui peut être mieux fait à la base relèverait de la région ? Faut-il miser sur l’importance à donner au développement par le bas ? (bottom up) au « raz du sol » ? A la base, l’information, la proximité, l’efficacité. La région prendra-t-elle le maximum de compétences sauf celles où son action se révèlerait inopérante ? Il convient de rappeler à cet égard qu’une bonne régionalisation passe par le renforcement des pouvoirs et attributions des échelons intermédiaires qui participent au contact aisé entre administration et administrés.
La réussite de la région est fonction de l’épaisseur et de la consistance des corps intermédiaires, communes, provinces et préfectures ne devraient pas devenir ou rester les ventres mous de la régionalisation. Faut-il également souligner que « dans le principe de subsidiarité, le pouvoir s’organise de bas en haut…. Sommes-nous dans cette configuration de confiance significative vis-à-vis de la commune ou bien pour reprendre la formule de Rousset, sommes-nous dans l’illusion communale ? Et de défiance par rapport à l’Exécutif ? On dirait plutôt qu’on se trouve dans une dialectique inverse…Des enquêtes sérieuses le démontrent.
La territorialisation du droit ne trouve-t-elle pas ses limites dans l’application des lois relatives aux libertés publiques ? Dans ce cas, au Maroc, les acquis relatifs aux droits humains, qu’ils soient civils, politiques, économiques ou sociaux, ne doivent-ils pas être hors de portée des diversités ? N’y aurait-il pas alors une sorte de noyau dur incompressible? Quelle que soit la région donnée, on pense au code de la famille, au code du travail, au code de procédure pénale, etc.
Le principe de subsidiarité implique une confiance totale dans la base. Une sorte de démocratie locale extrême. Mais le Maroc nous dit on est dans une phase de transition, d’institutionnalisation et non encore de consolidation. On pourrait avancer par rapport à la subsidiarité deux arguments opposés : oui à la subsidiarité car la démocratie commence à la base, oui mais car les acquis du centre ne sont pas encore consolidés…
Dans ce cas, que faut-il en déduire et dans quel sens faut-il mettre le curseur évoqué par M. Benmoussa, ministre de l’Intérieur ?
Restera-t-on figé dans la séparation verticale d’antan ou bien tirera-t-on les leçons des régimes régionalisés ou fédéraux qui fonctionnent à la coopération c’est-à-dire, dans un système de partenariats Etat régions, avec des objectifs communs et des financements communs ? (Canada, Allemagne, Espagne). Il est aussi possible d’imaginer une coopération horizontale entre régions limitrophes sur une problématique donnée.
A l’heure où on réfléchit en termes de développement durable, de gouvernance, de politiques publiques, de stratégie territoriale, d’INDH, ne serait-il pas plus judicieux d’avancer en langage coopératif plus que répartiteur ? Pour un auteur averti, « il ne s’agit pas de délimiter-limiter les prérogatives économiques et sociales de la région mais de penser la trajectoire généreuse de leur opérationnalisation progressive dans le présent et dans le futur »Il convient de remarquer à ce sujet que l’INDH par exemple ne rencontre pas que des échos favorables à la base, certains élus la considérant comme un projet anti-politique dans le sens où il rencontre une forte bureaucratisation à la base et qu’il y aurait une forte désarticulation institutionnelle entre communes, provinces et régions même s’il y a une forte promesse pour l’inclusion Dans ce sens, les Etats régionalisés font de plus en plus place aux politiques de concertation, médiation, conciliation entre le centre et les pouvoirs locaux et font de plus en plus place à de systèmes de coopération dans les domaines les plus divers.
Le développement avec des partenaires multiples, l’urgence est au rendez-vous, donc tout le monde est attendu, Etat, Partenaires étrangers, CL, ONG, Privé, Grandes agences, etc. A ce titre, la régionalisation doit être pensée en termes de partenaires, de dialogue, de prise de conscience d’un objectif et d’un avenir commun, une communauté de rêves et non en termes d’opposition, de conflits, venant de la base ou du pouvoir central sinon ce serait contreproductif.
Place doit, dès lors être faite, à la territorialisation des politiques publiques dans un objectif d’efficacité, et à la multiplication des contrôles juridictionnels dans un souci de légalité. Il faut reconnaître que l’Etat marocain commence à aller dans cette direction, confer la déclaration de politique gouvernementale qui insiste sur la contractualisation de l’Etat avec les régions (Plan Maroc vert) pour créer notamment des bassins d’emplois, on va dans le sens du partenariat même si le débat est à peine entamé sur le mode opératoire de cette contractualisation. Cette dernière est d’autant plus nécessaire qu »elle éviterait les déperditions, la coordination améliore l’efficience des dépenses publiques. Mais en premier lieu encore faut-il recrédibiliser les institutions notamment électorales et établir un contrat de confiance réciproque avec les électeurs …C’est la seule façon de prendre la route de la régionalisation politique au sens premier du terme.
La collaboration est nécessaire et elle est lisible dans la loi de 96, où la notion d’affaires mixtes existe (promotion de l’emploi, investissements privés, sport, protection de l’environnement, gestion des ressources hydrauliques), les articles 2 et 6 évoquent le développement économique et social avec des intervenants multiples, Etat, collectivités locales et autres personnes morales de droit public.. Par ailleurs, la collaboration est exigée dans d’autres domaines et non des moindres, l’élaboration du plan de développement économique et social de la région se fait conformément aux orientations et objectifs retenus par le plan national de développement, l’élaboration du schéma régional d’aménagement du territoire aussi conformément aux orientations et objectifs retenus au niveau national…La région peut-elle être viable sans moyens ?
Peut-elle être créatrice sans autonomie ?
Pour être une partenaire de l’Etat et d’autres personnes morales, elle doit acquérir de l’assurance. S’il n’y a pas que les agents nommés qui sont parés de vertus et disposent de pouvoirs, l’élection doit reprendre ses titres de noblesse même si la pratique est à cet égard contre-productive et même si elle n’est pas toujours au niveau attendu. Les doubles sources de pouvoir doivent se combiner et ne pas s’exclure, le Maroc a besoin de corps nommés par le Roi et disposant de légitimité de haute teneur et de corps issus des urnes et bénéficiant de l’onction populaire. Il est de toute première nécessité contrairement à ce qui se dit n’importe ou et n’importe quand de redonner du sens à l’élection en l’accompagnant de crédibilité et de moyens.
Régionalisation : Autorité et Territoire
Dans l’État régional, l’autonomie accordée aux régions va plus loin qu’une simple décentralisation de l’administration. La régionalisation administrative, que l’on rencontre en France ou au Maroc par exemple, n’instaure aucune compétence normative au profit des régions. La régionalisation politique, elle, débouche sur une dualité de sources normative, sur la reconnaissance d’un pouvoir législatif régional.
La crédibilité de la politique de régionalisation au Maroc peut se faire, peu ou prou, à travers l’évaluation du fonctionnement institutionnel actuel. Ce qui est en cause, tout d’abord, c’est la viabilité organisationnelle des régions instituées en 1996 lesquelles n’ont pas encore donné de résultats probants à cet égard. Ce qui doit être relevé, ensuite, c’est les limites significatives à leur autonomie: les régions n’ont pas vraiment de capacité à prendre des décisions de façon discrétionnaire, sans en être empêchées par des contrôles externes. Leur fonctionnement programmatique est également à prendre en considération – référence étant ici faite à leurs politiques et à leurs programmes, autrement dit à leurs outputs. Enfin, les régions bénéficient-elles du soutien du corps électoral?
Telle qu’elle est, il faut bien faire ce constat à propos de la régionalisation; elle n’a pas fait sa place comme système d’articulation et de distribution des pouvoirs publics ni comme processus de participation et d’implication des citoyens.
Décentralisation
L’État-nation au Maroc paraît avoir achevé sa phase de consolidation après une phase historique longue de démembrement et de fragmentation illustrée en particulier par le protectorat franco-espagnol. Est-ce aujourd’hui la phase de la différenciation? La perspective d’une régionalisation “à la carte” en faveur des provinces sahariennes du Royaume constitue, à n’en pas douter, un test exceptionnel pour apprécier, in situ, la problématique actuelle de la régionalisation.
Le projet de décentralisation constituait une avancée démocratique dans la perspective d’une gestion par les citoyens de leurs affaires locales, provinciales et régionales; mais il se proposait également de mettre en valeur une meilleure intégration de la région, et en particulier des provinces sahariennes récupérées et de leurs habitants.
Cette vision-là allait ainsi être institutionnalisée avec cette réforme de 1996. Mais elle avait été déjà expliquée dans le discours historique du regretté Souverain d’octobre 1984, à Fès, lequel prônait pratiquement le modèle allemand des Länder.
Reconnaissance
En droit comparé, ce modèle a été dégagé à partir du système italien, espagnol, portugais – le régionalisme y étant limité à Madère et aux Açores – et belge (avant la transformation de la Belgique en État fédéral en 1997). On peut encore en rapprocher la Grande-Bretagne depuis la “dévolution des pouvoirs” à l’Écosse et au Pays de Galles en 1997. En tant que “modèle” théorique, l’État régional peut être discuté; mais il se caractérise par la reconnaissance d’une réelle autonomie politique reconnue au profit des entités régionales et notamment d’un pouvoir normatif autonome.
A cet égard, il correspond à la prise en compte de certaines spécificités, qu’elles soient ethniques, culturelles, linguistiques, religieuses, et il se rapproche de l’État fédéral. Mais, à la différence de ce dernier, la structure étatique reste unitaire même si elle peut être appelée à évoluer.
Dans l’État régional, l’autonomie accordée aux régions va plus loin qu’une simple décentralisation de l’administration. La régionalisation administrative, que l’on rencontre en France ou au Maroc par exemple, n’instaure aucune compétence normative au profit des régions. La régionalisation politique, elle, débouche sur une dualité de sources normative, sur la reconnaissance d’un pouvoir législatif régional.
Cette autonomie régionale se trouve en outre garantie par la Constitution. Elle est également protégée par les cours constitutionnelles. La mise en œuvre de l’autonomie a conduit, tant en Espagne qu’en Italie, à la création d’institutions quasi politiques: un exécutif avec à sa tête un président, une assemblée avec certains pouvoirs législatifs.
A noter cependant que le schéma institutionnel espagnol a prévu des communautés autonomes de premier rang avec une assemblée législative élue au suffrage universel direct (à la représentation proportionnelle) ainsi qu’un “conseil de gouvernement” et un “président de la communauté”, mais il a également institué des communautés autonomes de second rang dont l’organisation n’est pas précisée par la Constitution.
Si la région instituée et constitutionnalisée au Maroc en 1996 reprend elle aussi cette articulation – un conseil régional, un président – elle ne se caractérise pas par une dualité de pouvoirs législatifs, et par conséquent, d’ordres juridiques. Rappelons en effet qu’en Italie, chaque région peut adopter des “lois régionales” et qu’en Espagne, alors que la constitution ne prévoit expressément un pouvoir législatif qu’aux communautés autonomes de premier rang, la pratique et la jurisprudence ont étendu ce pouvoir aux communautés de second rang.
Hiérarchie
Le pouvoir législatif des régions s’exerce dans le domaine prévu par la Constitution. La loi autonome a la même force juridique que la loi étatique; leurs rapports sont résolus non pas par l’application du principe de hiérarchie, mais par l’application du principe de compétence; prévaut la loi – étatique ou autonome- qui est compétente pour régir telle matière donnée.
Dans l’État régional, il n’existe qu’une seule constitution, les collectivités territoriales existantes n’ayant pas un pouvoir constituant – à la différence des États fédérés. L’État régional a un statut législatif, fixé formellement donc par des lois de l’État. C’est aussi un statut concerté dont le projet a été élaboré initialement par une assemblée ad hoc composée de tous les parlementaires élus dans les circonscriptions concernées par la création de la communauté.
Contrôle
Quelle que soit la nature et la portée de la régionalisation au Maroc, l’autonomie locale, si elle implique le principe de libre administration, n’en commande par moins la préservation du caractère unitaire de l’État et son principe d’indivisibilité.
Le critère de la libre administration tient dans l’élection des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, en l’occurrence le conseil régional. Il s’agit là d’un “suffrage politique” auquel le citoyen participe en tant que citoyen, membre de corps politique et non en tant qu’individu caractérisé par son appartenance à telle communauté ou collectivité.
En outre, les élections locales ne sont pas sans lien avec l’exercice de la souveraineté nationale puisque les membres des assemblées locales qu’elles désignent participent, dans chaque région, au collège électoral qui élit les conseillers, membres de la seconde Chambre du Parlement, organe d’expression de la souveraineté nationale au même titre que la Chambre des Représentants. Il s’agit là d’une représentativité globale, autrement dit d’une indivisibilité de la représentation des collectivités locales, contrairement à la représentation des États membres d’un État fédéral au sein de la seconde Chambre où chaque État est représenté en tant que sujet particulier. À noter ici qu’en réalité, la représentation des collectivités locales ne se situe pas au sein de la seconde Chambre elle-même mais dans le collège électoral qui, dans chaque région, élit les Conseillers.
Cela dit, le principe d’indivisibilité précité marque bien les frontières de l’autonomie locale. On peut en dégager trois aspects principaux.
L’indivisibilité de la souveraineté: cela veut dire que le Maroc est un État unitaire et qu’il ne doit exister qu’une seule source de souveraineté s’exerçant sur la totalité du territoire. La souveraineté est ainsi indivisible parce qu’elle réside dans la collectivité étatique envisagée globalement, sans tenir compte de la diversité des aspirations locales ou de la variété des multiples collectivités qui forment l’État. Il s’ensuit que le pouvoir normatif trouve sa source première dans l’État: il n’y a donc pas de pouvoir normatif autonome local. L’activité normative des autorités des collectivités locales découle de l’exercice d’attributions que la loi leur a conférées; elle ne saurait se déployer sans intervention d’une loi préalable.
D’une autre côté, le contrôle de l’État sur les collectivités territoriales est une exigence constitutionnelle qui vient limiter la libre administration. Ce contrôle peut d’ailleurs revêtir une forme assez poussée: celle d’un pouvoir de substitution du représentant de l’État. Enfin, le contrôle de l’État ne saurait évidemment anéantir la libre administration des collectivités locales.
Sur la base du principe qu’une collectivité locale s’administre et qu’elle ne gouverne pas, il est évident que la libre administration doit s’exercer dans le respect des attributions du législateur. De même, rien ne fonde constitutionnellement les collectivités locales à se voir reconnaître la qualité d’autorité souveraine ou de personne de droit international. N’étant pas sujets de droit international, les collectivités territoriales marocaines ne peuvent ainsi développer des relations avec d’autres collectivités de même nature que dans le cadre fixé par le législateur. L’État conserve donc le monopole de la conduite des relations internationales.
Droits
L’indivisibilité du territoire signifie au Maroc que le territoire du Royaume est intangible. Il pousse aussi à considérer que ce principe s’oppose à une différenciation trop poussée des droits applicables sur les différentes parties du Royaume, notamment en matière de libertés publiques. Ce qui veut dire que les libertés doivent être égales partout et pour tous. L’unité du régime juridique des libertés publiques se trouve ainsi pleinement préservée, ce qui tend à conforter le caractère unitaire de l’État. Ce dernier découle aussi de l’indivisibilité du peuple marocain laquelle interdit toute différenciation entre citoyens constituant un même peuple.
Ensuite, l’indivisibilité du peuple: la Constitution ne connaît qu’un seul peuple, le peuple marocain, composé de tous les citoyens marocains sans distinction d’origine, de race ou de religion. Il s’ensuit qu’un tel principe conduit à interdire au législateur la reconnaissance de “minorités” sur le territoire national, auxquelles seraient attachés des droits spécifiques dans le domaine culturel, religieux ou linguistique par exemple.
Il en découle aussi le refus de toute division entre citoyens. Pourquoi? Pour deux raisons liées entre elles d’ailleurs: l’une, c’est l’unité du corps politique qui interdit toute division par catégorie des électeurs ou des éligibles ainsi que toute discrimination fondée sur les attaches territoriales; l’autre, c’est l’unité de la représentation du peuple – le peuple étant le titulaire collectif de la souveraineté, l’indivisibilité de la souveraineté se trouve garantie par l’indivisibilité du peuple. En combinaison avec le principe d’égalité, le principe d’indivisibilité s’oppose ainsi à toute division au sein du peuple marocain et concourt par là même à assurer l’homogénéité du corps politique et l’unité de sa représentation.
Voilà qui conduit à s’interroger à propos de la régionalisation appliquée au Sahara, sur le bien-fondé de ceux qui, ces derniers mois, mettent en avant l’idée d’une décentralisation particulière, fondée sur la recherche d’une “troisième voie”, entre le rattachement au Maroc et l’indépendance.
Par Mustapha SEHIMI
Le défit du développement local
Le développement est un processus de création, de rétention et de distribution des richesses sur un territoire progressivement contrôlé par l’ensemble de ses habitants.
Le développement local est avant tout un processus de mobilisation des acteurs locaux. Le développement d’un territoire passe nécessairement par la mobilisation des acteurs locaux de ce territoire autour de projets communs. La mobilisation suppose une forte cohérence entre individus et entre groupes, une harmonisation des intérêts qui favorise l’intégration des initiatives de base.
Le développement local renforce l’identité et la cohésion socioculturelle, crée des espaces de coopération, de dialogue, de réflexion et de créativité, et constitue également une alternative aux modèles classiques de développement.
Le développement local est difficile voire même impossible à promouvoir lorsque, par exemple, l’administration est trop centralisée ou trop coercitive au point d’imposer son propre modèle de développement et de ne pas laisser de place aux initiatives locales.
Tel a été le cas au Mali jusqu’à la mise en place de la nouvelle politique de décentralisation. Durant plusieurs décennies a prévalu une politique économique fortement centralisée. Le développement régional et local de ces années, sous tendu par la Taxe de Développement Régional et Local (TDRL), est resté sans réel encrage et d’une application très incertaine dans un contexte ou l’emprise de l’État était toujours forte. Faute d’avoir été associé aux choix des actions du développement local, les populations ont tout ce temps mal appréhendé l’espace géographique et économique dans lequel développement devait s’exprimer et y ont donc peu contribué.
Une autre difficulté à laquelle le développement local a fait face au Mali est la faiblesse des revenus des populations. Les efforts de développement ont toujours buté sur l’extrême pauvreté des populations locales. Cette situation a très souvent mis les populations dans la position d’assister qui attendent tout des pouvoirs publics et de l’aide étrangère, tout en étant peu disposés ou incapables de contribuer aux recettes et de mobiliser les ressources internes.
Aussi, qui, d’une part, retient comme priorité la commune et d’autre part, confère à celle-ci les compétences portant sur des prestations de base.
Rôle des communes dans le développement local
En matière économique, la décentralisation ne doit pas être une occasion de transfert de l’inefficacité du niveau central au niveau local. Le rôle que peuvent efficacement jouer les municipalités en matière économique est essentiellement d’ordre organisationnel ; mettre à la disposition des opérateurs locaux un environnement favorable à leurs activités. S’inscrivent dans ce cadre :
– l’amélioration des infrastructures (voies de circulation) et des équipements de soutien à la production (gares routières, abattoirs, entrepôts frigorifiques, halles et marchés, zone d’activités artisanales, etc. ) ;
– La sécurisation de l’environnement général de la micro-entreprise en matière de règlement des activités économiques, de fiscalités et surtout d’occupation de l’espace (sécurité foncière).
Au-delà de ces types d’interventions génératrices de recettes pour les municipalités, celles-ci peuvent également jouer un rôle d’intermédiation et de structure d’appui capable d’accompagner et de soutenir les initiatives locales de développement : aides à la création d’entreprises, formulation de projets, aides dans la recherche de financement, fournir une formation et une éducation fonctionnelle courte mais permanente et essentiellement centrée sur la société de l’économie, ses rouages son fonctionnement etc…
Les municipalités sont aussi, par les commandes publiques qu’elles lancent, un agent de développement non négligeable de l’économie locale. Elles peuvent également offrir un cadre de négociation à tous les acteurs de la vie économique locale (entreprises modernes, chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers, etc…).
La commune doit produire les services publics qui s’inscrivent dans ses champs de compétences, définies par le Code des Collectivités Territoriales, à savoir :
– l’éducation préscolaire et primaire ;
– la santé communautaire ;
– la programmation du développement local ;
– l’assainissement et la protection de l’environnement ;
– l’aménagement de l’espace ;
– la production le transport et la distribution de l’eau potable et de l’électricité ;
– la création des marchés et foires ;
– l’organisation du transport public ;
– la réalisation et l’entretien des infrastructures routières et de communication classées dans le domaine communal ;
– la gestion domaniale et foncière.
Attendre l’objectif de développement local suppose :
– que les populations aient une certaine maîtrise et appropriation de leur espace ;
– que les Collectivités aient des moyens appropriés ;
– que les populations soient les plus associées.
Aussi, pour répondre à ces objectifs, la Mission de décentralisation et des Réformes Institutionnelles a déjà mis en place un ensemble de stratégie de mise en oeuvre de la décentralisation pour enfin relever le défi du développement local.
Ces stratégies sont :
– Une stratégie de formation des acteurs de la réforme ;
– Une stratégie de transfert de compétences aux collectivités Territoriales Décentralisées ;
– Une stratégie de financement des Collectivités Territoriales Décentralisées.
Le dialogue social
Qu’est-ce que le dialogue social?
Tel que défini par l’OIT, le dialogue social inclut tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun. Il peut prendre la forme d’un processus tripartite auquel le gouvernement participe officiellement ou de relations bipartites entre les travailleurs et les chefs d’entreprise (ou les syndicats et les organisations d’employeurs), où le gouvernement peut éventuellement intervenir indirectement. Les processus de dialogue social peuvent être informels ou institutionnalisés ou associer – ce qui est souvent le cas – ces deux caractéristiques. Il peut se dérouler au niveau national, régional ou au niveau de l’entreprise. Il peut être interprofessionnel, sectoriel ou les deux à la fois.
L’objectif principal du dialogue social en tant que tel est d’encourager la formulation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique. Les structures et les processus d’un dialogue social fécond sont susceptibles de résoudre des questions économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie.
Quelles sont les conditions de base du dialogue social?
Pour permettre le dialogue social, les conditions suivantes doivent être réunies:
* des organisations de travailleurs et d’employeurs fortes et indépendantes dotées des compétences techniques nécessaires et pouvant accéder aux informations utiles à leur participation au dialogue social;
* la volonté politique affirmée d’engager le dialogue social de la part de toutes les parties;
* le respect des droits fondamentaux que sont la liberté syndicale et la négociation collective;
* un soutien institutionnel approprié.
Le rôle de l’Etat dans le dialogue social
Pour que le dialogue social fonctionne, l’Etat ne peut rester passif même s’il n’intervient pas directement dans le processus. Il lui incombe de créer un climat politique et social stable qui permette aux organisations de travailleurs et d’employeurs autonomes d’agir librement, sans crainte de représailles. Même lorsque les relations sont fondamentalement de nature bipartite, l’Etat doit fournir un soutien essentiel au processus de dialogue en mettant à la disposition des parties un cadre juridique, institutionnel et autre qui leur permette d’agir efficacement.
Le dialogue social et le BIT
Le BIT entend aider les Etats Membres à mettre en place ou à renforcer les cadres légaux, les institutions, les dispositifs ou les processus de dialogue social bipartite ou tripartite dans les Etats Membres. Il entend également promouvoir le dialogue social au sein des Etats Membres ou des groupements régionaux ou sous-régionaux pour favoriser l’établissement d’un consensus, le développement social et économique, et promouvoir la bonne gouvernance