La problématique traditionnelle de l’équilibre financier fait ressortir la trésorerie comme un solde résiduel, le BFR comme une contrainte issue de l’exploitation et le FdR comme une variable d’action. La formule liant ces trois termes devient facile ment une équation à une inconnue lorsqu’on pose comme objectif normatif le niveau de trésorerie. Pour un BFR donné, on en tire facilement la valeur à obtenir pour le fonds de roulement.
La règle d’équilibre financier fonctionnel
Faire du FdR un objectif financier n’a de sens que si l’on considère qu’il s’agit d’une variable financière crédible. Or, il a été vu que celle-ci repose sur le principe d’affectation de ressources durables aux emplois durables. L’analyse financière fonctionnelle est fondée sur cette hypothèse qui conduit à une règle normative simple :
« Les ressources durables doivent financer les emplois durables ».
Or, le BFR est largement un emploi permanent, surtout si l’on considère l’évolution du BFE au cours du temps. Celui-ci fluctue en suivant le déroulement du cycle d’exploitation. La partie stable et permanente du BFE correspond au besoin minimum.
Équilibre financier fonctionnel
La première version de la règle d’équilibre fonctionnel est donc que le BFE minimum soit couvert par le FdR en application du principe d’affectation.
Si l’on fait abstraction du BFHE, cette règle conduit à une trésorerie nette systématiquement négative tout au long de l’année. La trésorerie nette est nulle lorsque ponctuellement le BFE est à son niveau minimum.
Trésorerie nette négative ou nulle (hors BFHE) : FdR = BFE minimum
La deuxième version de la règle d’équilibre fonctionnel consiste à raisonner en moyenne des BFE tout au long de l’année. L’idée est que le besoin de financement permanent qui découle du cycle d’exploitation est égal au niveau moyen du BFE.
Cette notion de niveau moyen permet de tenir compte de la tendance d’évolution de l’activité.
Cette règle d’égalisation du FdR et du BFE moyen est présentée comme l’orthodoxie financière fonctionnelle. Elle montre que le FdR doit accompagner l’évolution dans le temps du BFE moyen de l’entreprise.
Cela conduit, selon les fluctuations du cycle, à une trésorerie nette (hors BFHE) qui présente des signes alternativement négatifs ou positifs. En moyenne sur la période, la trésorerie est de solde nul, ce qui permet effectivement d’affirmer que les ressources durables financent bien en moyenne les emplois durables.
Trésorerie nette en moyenne nulle (hors BFHE) : FdR = BFE moyen
Malgré ses limites qui seront analysées par la suite, la règle d’équilibre financier fonctionnel permet de mettre en évidence les termes du choix entre solvabilité, rentabilité et risque :
- une trésorerie négative est à l’origine d’un risque pour l’entreprise en cas d’aléa. Elle fait dépendre sa solvabilité de crédits bancaires à court terme par définition « fragiles ». Le risque est donc ici celui du non-renouvellement de financements de trésorerie bancaires, qui peut avoir des conséquences directes sur la solvabilité de l’entreprise ;
- une trésorerie structurellement positive peut être, à l’inverse, le moyen pour l’entreprise d’assurer sa solvabilité. Elle manifeste un désir de sécurité qui signifie néanmoins que des ressources durables servent à financer des emplois de trésorerie. Or, des préoccupations de rentabilité peuvent intervenir qui mettent en cause l’affectation d’une partie des ressources permanentes à des emplois de trésorerie au nom d’un coût d’opportunité. Ce serait la situation d’une encaisse permanente oisive. Même si la trésorerie était placée, il peut exister des coûts d’opportunité relatifs entre des placements destinés à assurer la sécurité et la solvabilité, et la rentabilité des investissements industriels et commerciaux ;
- la voie de l’orthodoxie financière, avec l’idée d’une trésorerie moyenne nulle, apparaît donc médiane. Elle satisfait, dans une logique fonctionnelle, la contrainte de solvabilité en réduisant le risque de non-renouvellement de ressources de trésorerie et en évitant les coûts d’opportunité.
Critique et aménagement de la règle d’équilibre financier fonctionnel
Cette voie médiane de l’orthodoxie financière conduit à une vision largement idyllique et irréaliste de l’équilibre financier pour deux séries de raisons.
La première raison procède de l’idée qu’une trésorerie structurellement négative met en cause la solvabilité de l’entreprise. Cet argument se fonde sur la précarité a priori supposée des crédits de trésorerie bancaires. Or, G. Charreaux explique pourquoi cette analyse ne peut être suivie.
D’abord, « l’observation des structures financières des entreprises françaises montre que nombre d’entre elles ont connu des trésoreries structurellement négatives sur de longues périodes sans encourir pour autant un risque de faillite important ».
Le risque de non-renouvellement des crédits de trésorerie bancaire est systématiquement exagéré dans cette approche. Les concours bancaires sont le plus souvent purement et simplement reconduits de manière automatique.
De la sorte, le financement bancaire d’une partie du BFE est quasi assuré dans une large majorité d’entreprises en fonctionnement normal. Il faut en conséquence assouplir la règle de l’orthodoxie financière puisque l’équilibre financier est compatible avec une trésorerie nette structurellement négative.
Le second type de raison concerne la mesure des termes de l’équilibre financier fonctionnel. La notion de BFE bilantiel est privilégiée. Or, cette référence est biaisée vers le haut et est à l’origine d’une estimation minorée de la trésorerie nette.
La mesure dynamique du BFE apparaît plus pertinente ; elle conduit à une appréhension plus élargie de la trésorerie de l’entreprise. On peut concevoir des règles d’équilibre financier fondée sur cette notion. La notion même de fonds de roulement apparaît questionnable.
Si les crédits de trésorerie bancaires ont un caractère quasi permanent, il convient, pour être logique avec la notion de ressources financières permanentes, de les inclure dans le calcul du fonds de roulement. Que signifie alors ce concept ?
Ces interrogations et ces critiques se traduisent en pratique par un réaménagement des règles de l’équilibre financier fonctionnel dans le sens d’un élargissement et d’une moindre contrainte. Avant d’en présenter quelques exemples, il faut rappeler que les règles d’équilibre financier sont des normes arbitraires.
Elles ne peuvent plus prétendre découler du principe fonctionnel d’affectation de ressources dites longues à des emplois dits longs. Les règles qui suivent ont pour origine la pratique du diagnostic de crédit bancaire.
Elles s’articulent sur une estimation nouvelle du BFE ou sur des seuils critiques de couverture du BFE courant.
Cette première règle découle de la prise en considération de l’estimation dynamique du BFE au lieu de l’évaluation bilantielle. On sait que le besoin de financement est alors inférieur et conduit à distinguer un flux de trésorerie potentielle très généralement positif.
ou encore : Trésorerie élargie positive ou nulle
ou encore : Trésorerie réelle négative ≤ Trésorerie potentielle
Cette règle conduit à fixer l’objectif d’équilibre financier en terme de trésorerie élargie, c’est-à-dire le total de la trésorerie nette réelle et de la trésorerie potentielle incluse dans les actifs circulants.
Ce qui est visé est une trésorerie élargie positive ou nulle. Or, ce résultat peut être obtenu avec une trésorerie nette structurellement négative inférieure à la trésorerie potentielle.
L’appel permanent aux concours bancaires est ainsi justifié et gagé par le flux de liquidité potentiel libre des dettes fournisseurs et intégré dans les actifs cycliques d’exploitation.
Dans cette optique, la banque peut financer sans crainte la partie des actifs circulants correspondant à du cash-flow. Le seul danger est la dépréciation des stocks ou le non paiement des créances clients. On obtient donc la formulation équivalente :
Cette présentation de l’équilibre fonctionnel élargi reste très prudente car les crédits bancaires de trésorerie sont strictement gagés sur une fraction des actifs circulants.
Si le recours permanent à l’endettement bancaire est reconnu, tout comme l’idée d’une trésorerie nette négative, le remboursement est gagé par un flux de trésorerie net potentiel découlant de l’exploitation qui est simplement escompté par le prêteur.
On retrouve ici une approche traditionnelle et une analyse tout à fait précautionneuse de l’escompte bancaire de flux nets de liquidités réels futurs. Cette règle répond donc à une logique de financement bancaire ; elle joue en faveur des entreprises :
- ayant une forte marge, c’est-à-dire généralement les plus rentables ;
- ayant une forte intensité capitalistique, c’est-à-dire consommant du capital sous forme d’amortissements.
Les entreprises de ce type présentent une trésorerie potentielle importante dans leurs actifs circulants d’exploitation. La figure suivante illustre l’équilibre financier élargi à la notion de trésorerie potentielle.
Équilibre financier élargi
Exemple : Trésorerie élargie et financement bancaire structurel
La trésorerie nette réelle de l’entreprise ABC est de – 575 m€. Appliquée strictement, la règle de l’orthodoxie financière conclurait à un financement bancaire excessif qu’il faudrait réduire pour aboutir à un équilibre financier.En fait, il existe dans les actifs circulants une trésorerie potentielle de 1 625 m€. Celle-ci est tout à fait compatible avec des concours bancaires structurels à hauteur de cette somme.
L’entreprise emprunteuse peut donc envisager de poursuivre son appel à des ressources de trésorerie bancaire car sa trésorerie élargie est positive de 1 050 m€.
Une seconde règle introduit une référence tout à fait arbitraire envers le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Elle a pour elle sa très grande simplicité. Toutefois, le niveau critique utilisé de deux mois de CA apparaît tout à fait arbitraire. Il déconnecte la problématique de l’équilibre financier de ce qui en est le noyau dur, c’est-à-dire le BFE.
Cette seconde règle constitue cependant un élargissement de la relation de l’équilibre financier fonctionnel puisqu’elle reconnaît la légitimité d’une trésorerie structurellement négative, mais bornée par une certaine proportion du CA. Enfin, exprimée telle quelle, cette règle ignore l’incidence d’emplois de trésorerie-actif.
La troisième règle d’analyse de l’équilibre financier élargi s’exprime très clairement en un taux de couverture minimum du BFE.
Ignorant le BFHE, elle dispose que la trésorerie nette négative ne doit pas constituer une ressource qui assure le financement de plus de la moitié du BFE.
Le niveau seuil de 50 % est arbitraire. Au-delà d’un débat sur le chiffre, 50 % ou 75 %, ce qui compte est la légitimité d’une trésorerie nette structurellement négative. Plus qu’un raisonnement en valeur absolue, l’équilibre financier de l’entreprise se construit sur la couverture « raisonnable », mais pas totale, de son BFE par des ressources longues (en l’occurrence identifiées par le FdR).
Cette troisième règle est parfaitement compatible avec la première qui prend comme référence le BFE mesuré dynamiquement. En remarquant que :
BFE bilantiel > BFE courant,
la correction de la surévaluation du BFE bilantiel et la prise en compte d’une trésorerie potentielle dans les actifs cycliques d’exploitation se traduisent par la fixation d’un pourcentage de couverture du BFE bilantiel très inférieur à 100 %.
BFE, équilibre financier et scénarios d’évolution de l’entreprise
La relation de l’équilibre financier permet au praticien, notamment à l’analyste crédit, d’appréhender le risque de défaillance de l’entreprise. La problématique centrale de l’équilibre financier s’articule sur un élément central identifié ci-dessus : le BFE. Le choix financier s’exprime en un niveau objectif de trésorerie compatible avec un risque d’illiquidité faible.
L’équilibre financier montre que la trésorerie ne se juge pas par son signe dans l’absolu. Une trésorerie nette structurellement négative est parfaitement compatible avec un risque de défaillance faible. De plus, on a vu que la trésorerie nette effective doit se comparer relativement au BFE ou au FdR de l’entreprise.
Savoir qu’une entreprise à une trésorerie nette négative de 100 M€ n’a absolument pas le même sens selon que le BFE ou le FdR est de 10 millions ou de 1 milliard d’euros. La question centrale est celle du montant raisonnable de trésorerie négative par rapport au FdR ou du taux de couverture raisonnable du BFE par le FdR.
La comparaison de cette relation dialectique entre BFE, trésorerie nette réelle, et FdR permet de suivre l’évolution de l’équilibre financier de l’entreprise et d’identifier des scénarios types de vulnérabilité. Ces scénarios sont des enchaînements économiques et financiers qui s’expriment par des divergences dans l’évolution du FdR et du BFR, d’où il découle des crises de trésorerie.
■■ Croissance trop rapide
L’entreprise voit son CA augmenter rapidement. Le BFR suit en parallèle l’évolution du CA. En revanche, malgré une bonne rentabilité de l’entreprise, le FdR croit plus lentement. Il s’ensuit des difficultés de trésorerie. Ce phénomène est classiquement présenté comme celui de l’effet ciseau entraîné tôt ou tard par une trop forte croissance.
■■ Croissance non contrôlée
Dans ce cas, le développement de l’entreprise s’apparente à une « fuite en avant ».
Pour accroître son CA, l’entreprise augmente son crédit client. Elle accorde des réductions de prix qui viennent diminuer sa marge. En conséquence, le BFR augmente plus que proportionnellement au CA et le FdR ne s’accroît que faiblement en raison d’une rentabilité devenue plus faible. Ici, l’effet ciseau joue de manière rapide et conduit à une crise de trésorerie brutale.
■■ Retard sur investissements : succès ou échec
L’entreprise connaît une structure financière équilibrée, mais a négligé de procéder aux investissements nécessaires pour assurer son développement futur. Elle décide de rattraper son retard et procède à des investissements massifs. Il s’ensuit une baisse mécanique et brutale du FdR. Si les investissements sont à l’origine d’un regain de croissance dans le futur, le BFR va augmenter dans un second temps.
L’entreprise, fragilisée par la contraction de son FdR, est alors exposée à une crise de liquidité. Une variante de ce scénario consiste à imaginer un échec dans le choix des investissements (par exemple, lors d’un lancement d’un nouveau produit ou d’un nouveau marché). Des pertes viennent alors poursuivre la diminution du FdR et creuser une trésorerie de plus en plus négative.
■■ Accumulation de pertes : naufrage ou paradoxe
Les pertes accumulées sur plusieurs exercices, même en cas d’activité maintenue, conduisent à faire régulièrement décroître le FdR. La trésorerie se creuse tout aussi régulièrement.
En l’absence de correction, cette situation conduit à terme à une défaillance. Ce scénario traditionnel suppose que les pertes de l’entreprise entraînent une diminution du FdR.
C’est le cas lorsque les pertes sont très importantes et dépassent les dotations aux amortissements : la CAF est alors négative, ce qui se traduit bien par une ponction sur les liquidités de l’entreprise. Cette situation conduit logiquement à la défaillance.
Un paradoxe doit toutefois être souligné : l’accumulation de pertes peut aussi se traduire par une dégagement de liquidités et une trésorerie positive pléthorique.
Imaginons une entreprise en pertes limitées. Si celle-ci n’investit pas, son FdR augmentera régulièrement par suite de l’amortissement de ses immobilisations.
Malgré les pertes, sa CAF positive viendra gonfler sa trésorerie. Cela s’explique par un BFR stable confronté à un FdR en augmentation régulière. C’est un effet ciseau inversé qui explique dans certains cas de figure la permanence d’entreprises en pertes, dont la trésorerie nette est abondante, voire pléthorique.
Scénarios types de défaillance
axe horizontal : déroulement du temps ; en pointillé : niveau du FdR ; zone hachurée : trésorerie nette négative ;
+ : trésorerie nette positive.
■■ Réduction d’activité
En cas de réduction d’activité, le CA baisse régulièrement, cependant le BFR diminue moins que proportionnellement en raison de rigidités (stocks invendus.). Le plus souvent, en cas de réduction forte de l’activité, le point mort d’exploitation baisse moins rapidement que le CA. D’où l’apparition de pertes grandissantes qui conduisent à une contraction du FdR (sous certaines hypothèses, cf. cas précédent).
Ce scénario catastrophe aboutit logiquement à la défaillance.
■■ Développement maîtrisé
La maîtrise des composantes de l’équilibre financier consiste à veiller à l’évolution en phase du BFR et du CA. De plus, la rentabilité positive de l’entreprise conduit à l’accroissement régulier du FdR en phase avec le BFR. L’ensemble entraîne une trésorerie dont la situation est régulièrement confortée.