À la différence des actionnaires, le prêteur bancaire privilégie, dans l’analyse de la rentabilité, ce qui lui permet d’apprécier la capacité de l’entreprise à honorer ses contrats de dettes. L’analyse financière du prêteur est donc essentiellement tournée vers l’étude de la capacité de remboursement de l’entreprise et de sa capacité à supporter les frais financiers de ses dettes.
La couverture des charges financières
Les frais financiers sont des charges obligatoires qui s’imputent sur le surplus annuel créé par l’entreprise. Une première mesure grossière permet de proportionner la part des frais financiers dans le compte de résultat en les comparant au chiffre d’affaires :
Frais financiers/CA
Les frais financiers à prendre en considération sont les charges décaissables d’intérêts ( Hors dotation, pertes de change ou produits financiers). L’idée admise est que les intérêts ne doivent pas, en première analyse, dépasser 2 à 5 % du chiffre d’affaires. Le chiffre de 4 % est souvent cité comme borne standard. Il faut toutefois prendre cette norme avec recul pour tenir compte du processus économique et des structures de financements particuliers à certains secteurs. Ainsi, dans le secteur du champagne (ou du cognac), les entreprises sont tenues à des contraintes strictes de vieillissement de stocks qui prennent une place considérable à l’actif du bilan. Le financement de ces emplois conduit à un endettement structurellement élevé de ces branches. Il est arrivé que le pourcentage des frais financiers dans le CA dépasse alors 10 % à certaines périodes.
Plutôt que le CA, l’analyste financier bancaire préférera comparer les frais financiers au flux de liquidité brut dégagé par l’exploitation. Dans une optique de solvabilité, les frais financiers apparaissent comme le « prochain » décaissement obligatoire qui s’impute sur l’EBE. Pour comparer des choses comparables, il est préférable d’opposer un décaissement réel au flux de liquidité réel dégagé pour l’activité courante d’exploitation, c’est-à-dire l’excédent de trésorerie d’exploitation. À défaut, on prendra l’EBE qui mesure le surplus potentiel :
Frais financiers/ETE ou à défaut Frais financiers/EBE
Ce ratio doit, dans l’absolu, être strictement inférieur à l’unité. Plus il est faible, plus l’entreprise couvre facilement la charge d’intérêt découlant de son endettement. Le tableau suivant présente l’évolution du ratio moyen de couverture des intérêts nets versés par les entreprises françaises. Les intérêts nets tiennent compte de l’imputation des éventuels produits financiers d’intérêt perçus par l’entreprise. Ceux-ci ne sont pas en moyenne négligeables. La baisse globale du ratio illustre à la fois la tendance au désendettement des entreprises et la tendance à la baisse des taux d’intérêt sur la période.
Évolution du ratio de couverture des charges financières
L’analyste financier, en calculant ce ratio, doit avoir présent à l’esprit les biais qui peuvent être introduits par des opérations d’endettement (ou de désendettement) en cours ou en fin d’exercice. Si un crédit important a été mis en place en fin d’exercice, celui-ci n’impactera pas (ou peu) les frais financiers, ce qui conduira à un ratio biaisé. Si l’on se reporte l’année suivante, toutes choses égales par ailleurs, le ratio de couverture des intérêts connaîtra une dégradation mécanique. Pour identifier de tels biais, il est conseillé de calculer le taux d’intérêt apparent de la dette de l’entreprise.
Taux d’intérêt apparent = Intérêts payés/Dettes à intérêts envers les tiers
Les intérêts sont les intérêts bruts payés au cours de l’exercice. Les dettes à prendre en considération sont toutes celles qui contractuellement versent un intérêt. On peut affiner le calcul du taux d’intérêt apparent en prenant la moyenne de l’endettement en début et en fin d’exercice afin de lisser les évolutions. Le taux d’intérêt apparent doit être comparé aux taux de financement normaux proposés sur des dettes au cours de l’exercice. Si le taux d’intérêt apparent est en baisse et est très inférieur aux taux proposés, cela signifie la mise en place de financements importants par dettes en fin d’exercice. Pour être rigoureux il faudrait tenir compte des autres frais financiers que ces opérations induisent. À l’inverse, un taux d’intérêt apparent très élevé, supérieur aux taux de marché, est l’indication d’un désendettement au cours de l’exercice. Ce peut être le moyen de mettre en évidence des opérations de window dressing, c’est-à-dire des remboursements ponctuels à la date d’arrêté des comptes de manière à afficher un endettement minoré et une structure financière plus solide, et à améliorer les ratios financiers que les analystes externes calculent à partir des bilans publiés.
L’inconvénient du ratio de couverture des charges d’intérêts présenté ici est d’être insuffisamment prospectif lorsqu’il est calculé sur la base de l’ETE et des dettes de l’exercice passé. Le prêteur s’interroge sur le futur. Il privilégiera donc au dénominateur l’ETE prévisionnel (ou l’EBE prévisionnel) de l’entreprise. Au numérateur, on prendra les frais financiers prévisionnels compte tenu de l’endettement connu et prévu de l’entreprise.
On peut améliorer l’analyse de la couverture des frais financiers en prenant l’hypothèse du maximum des frais financiers qui seraient exigés de l’entreprise si celle-ci s’endettait au maximum des ses capacités. Cela conduit à faire référence à la notion d’endettement financier potentiel, l’EFP, qui est, en général, supérieur, voire à la limite égal, à l’endettement réel auprès des tiers financiers. En prenant une hypothèse de taux d’intérêt moyen prévisionnel pour l’année à venir, il est possible de calculer le frais financiers prévisionnels.
Frais financiers prévisionnels = Endettement effectif prévu x Taux d’intérêt moyen prévisionnel
Frais prévisionnels maximum = EFP x Taux d’intérêt prévisionnel
Le ratio de couverture sera adapté en conséquence :
Frais financiers prévisionnels (éventuellement maximum)/ETE (ou EBE) prévisionnel
Exemple : Calcul de la couverture de frais financiers
Au cours de l’exercice N, les intérêts bruts payés par l’entreprise XYZ à des prêteurs financiers ont été de 3,5 M€. Le montant de sa dette financière en fin d’exercice est de 87 M€. Son ETE a été de 15 M€ au cours de l’exercice N. Le taux standard de financement de l’entreprise est de l’ordre de 5,5 %.
Taux d’intérêt apparent : 3,5/87 = 4,02 %
Ratio de couverture : 3,5/15 = 23 %
En fait, le taux apparent inférieur au taux standard souligne une opération d’endettement en fin d’exercice qui améliore le ratio de couverture. Celle-ci a porté sur 22M€ d’emprunt. L’endettement réel de l’entreprise pour l’année à venir est prévu autour de 90M€ avec des taux d’intérêt supposés stables.
Frais financiers prévisionnels = 90 x 5,5 % = 4,95 M€.
Pour un ETE prévu de 16 M€ en N+1, on obtient : Ratio de couverture prévisionnel : 4,95/16 = 31 %.
Ce chiffre en hausse marque une dégradation importante du ratio de couverture par rapport à 23 %.
L’analyste financier sait que, par ailleurs, l’entreprise XYZ possède une ligne de crédit bancaire de 10 M€ non utilisée, mais qu’elle peut mobiliser facilement.
En cas d’endettement potentiel maximum de 100 M€ :
Frais financiers prévisionnels maximum = 100 x 5,5 % = 5,5 M€.
Ratio de couverture : 5,50/16 = 34 %.
Ce qui ne laisse plus que 66 % de l’ETE pour faire face aux autres dépenses de l’entreprise.
Le ratio de couverture des frais financiers est délicat à être utilisé tel que en terme de niveau. Même la limite maximale apparemment de bon sens de 100 % est sujette à caution. L’ETE ou l’EBE ont vocation à permettre le financement du développement de l’entreprise. C’est pourquoi on considère que les frais financiers ne doivent pas dépasser 30 % de l’ETE (ou EBE). Si on prend l’exemple d’une société holding mixte qui possède de nombreuses filiales au profit desquelles elle s’endette en tant que tête de groupe, il faut tenir compte des produits financiers à la fois d’intérêts facturés et de dividendes qui sont structurels. Dans un tel cas de figure, il est plus réaliste de prendre au dénominateur l’ETE augmenté des produits financiers encaissés.
La capacité de remboursement
La capacité de remboursement s’apprécie de manière prévisionnelle en analysant si l’entreprise peut faire face aux remboursements futurs qui sont fixés par avance dans les contrats de dette. La variable de flux de fonds interne qui est traditionnellement utilisée dans l’analyse de crédit est la CAF. Il s’agit bien d’une ressource interne potentielle que l’entreprise peut affecter au remboursement de ses dettes financières. Elle peut aussi décider d’affecter son surplus monétaire potentiel à autre chose : investissements, couverture du BFE… Le ratio traditionnel :
CAF /Remboursement de dettes financières > 2 (ou 3)
présente deux caractéristiques :
- on ne prend que les remboursements découlant des dettes financières hors dettes de trésorerie (et hors passif circulant d’exploitation) ;
- il doit être supérieur à 2, ce qui signifie qu’il n’est pas souhaitable que plus de 50 % de la CAF soit consacré à des remboursements d’emprunt. L’idée est de veiller à laisser à l’entreprise une certaine flexibilité pour faire face à d’autres emplois sans la conduire forcément à se désendetter.
La comparaison de ce ratio à 1 ne constitue qu’une borne minimale sans grand sens dans l’absolu. Le cas échéant, l’analyste de crédit retraitera les éléments exceptionnels qui ne donnent pas un contenu reproductible à la CAF. Ce ratio se prête bien à une utilisation prévisionnelle en prenant au numérateur la CAF future prévue.
L’autre ratio traditionnel consiste à comparer la CAF non plus au flux, mais au stock de dettes. Celles qui sont reprises sont les dettes financières durables. On considère que celles-ci ne doivent pas dépasser 3 (voire 4) années de CAF :
Dettes financières durables/CAF < 3 (ou 4) ans
Ce ratio est statique, même si l’on prend au dénominateur la CAF prévisionnelle. En effet, la dette est celle constatée à un instant donné ; cet instant correspond le plus souvent dans l’analyse crédit à la date de mise en place du crédit. Cela signifie que l’analyste ne devra pas omettre d’intégrer dans les dettes existantes les concours nouveaux.
La mesure de la capacité de remboursement par la CAF peut donner lieu à variations en faisant référence, comme mesure du cash-flow, à l’EBE, et en prenant en considération l’endettement net (s’il existe des actifs de trésorerie). On a alors :
Endettement net/EBE < 3 ans
Les ratios de capacité de remboursement fondés sur les flux sont de bien meilleures mesure de la solvabilité que le ratio de levier financier endettement net/capitaux propres. Celui-ci est calculé sur des stocks et mesure la structure financière. Une entreprise rembourse ses dettes avec les cash-flows qu’elle génère et non avec ses capitaux propres comptables. Vernimmen cite l’exemple de la société Unilever qui en 2003 affichait un levier financier impressionant de 252 %, alors que son endettement net ne représentait que 2,2 années d’EBE1. À l’inverse, Rémy Cointreau présentait un levier financier inférieur à 1, mais son endettement représentait 3,8 fois son excédent brut d’exploitation.
Enfin, on rappellera que, dans une optique de solvabilité, il vaut mieux raisonner en termes de comptes consolidés, plutôt qu’en termes de comptes sociaux individuels. Ce qui est important est l’ensemble des dettes financières et bancaires au niveau d’un groupe.